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Etude du tracé régulateur de la porte Saint-Bernard, à Paris, par F. Blondel


G. Barot, chercheur indépendant : ORCID 0009-0007-0880-4424

e-working paper n°6 / www.geometriesensible.com / Dijon, 04 Novembre 2024

DOI : 10.5281/zenodo.14030882



Dans la 4ème partie de son Cours d’Architecture[1], François Blondel expose quelques-uns des fondements de l’Art des Anciens – que ses plus fervents partisans illustreront avec force, tel Charles-Etienne Briseux[2] - à l’occasion de la restauration de portes monumentales à Paris pendant le règne de Louis XIV : porte Saint-Antoine dès 1660 ; porte Saint-Denis, en 1672 ; et dans une certaine mesure, la porte Saint-Martin (par son élève P. Bullet, en 1674). Sur l’ancien tracé de l’enceinte fortifiée de Charles V, Louis XIV fait également restaurer – sur le même modèle - la porte Saint-Bernard en 1670.


E. Beguillet (auteur) et François-Nicolas Martinet (graveur) Description historique de Paris, Paris, veuve Duchesbne libraire et Dijon, Fromantin impr., 1779 ; p. 65 : Vue de la porte Saint-Bernard.
Vue de la porte Saint-Bernard, par F-N Martinet, 1779

E. Beguillet (auteur) et François-Nicolas Martinet (graveur) Description historique de Paris, Paris, veuve Duchesbne libraire et Dijon, Fromantin impr., 1779 ; p. 65 : Vue de la porte Saint-Bernard.

Située au débouché du quai de la Tournelle, le long de la Seine, à proximité de l’ancien Port-aux-Vins dans le quartier Saint-Victor (actuel 5e arrondissement), cette porte monumentale a été démolie entre 1787 et 1790. Elle doit son nom à la proximité de l’ancien couvent des Bernardins (situé à l’extrémité du pont Sully).


  L’exposé magistral de F. Blondel montre à quel point la recherche de l’harmonie entre le tout et ses parties a atteint ici un degré de perfection inégalé en termes d’ordonnance, de régularité et de symétrie[3]. D’autant plus que l’architecte a dû conserver les murs et le pavillon de l’ancienne porte, l’obligeant ainsi « de prendre des mesures différentes de celles que l’on auroit prises autrement. Et pour dire le vray il a fallu un peu de méditation pour y appliquer quelque chose qui donnât les commodités que l'on souhaitoit, et dont l'Ordonnance ne fût pas à mépriser. »


C’est cette adaptabilité qui est intéressante et montre combien cette approche très classique est tout sauf rigide En effet, le tracé n’est pas inclus dans un carré du fait des contraintes liées au monument préexistant. La hauteur est de 57 pieds de roi (9 toises ½), soit 1,5 toise de plus que la largeur (qui est de 8 toises, soit 48 pieds de roi). L’écart entre la hauteur et la largeur est donc de 9 pieds de roi.


Dimensions et proportions. 

Porte Saint-Bernard par F. Blondel (cours d'Architecture, 4ème partie, livre IX, chap. V)

« CHAPITRE V - Porte Saint-Bernard. (...) La largeur entière du Pavillon étant de huit toises, on auroit pu pratiquer dans le milieu, la largeur d’une belle Porte qui auroit suffi pour la commodité du passage des charrois d’une des plus grandes avenues de la Ville de Paris, & même deux petites portes à côté pour les gens de pied. Mais comme les chambres du dedans que l'on a voulu conserver nécessairement, ne permettoient pas de donner à cette Porte du milieu une hauteur proportionnée à sa largeur ; on a été contraint de prendre d'autres pensées et de mettre toute la largeur du Pavillon en deux grandes ouvertures entre trois piles, à l'exemple des Arcs de Triomphe & des Portes dont nous avons parlé cy-devant. (…). La hauteur de l'Ouvrage est plus grande que sa largeur, parce qu'il a fallu élever l'attique en sorte que l'on ne vît rien de la couverture des logements.

Voicy donc les principales mesures de cette Porte Saint-Bernard. La largeur entière est à la hauteur comme 16 à 19, cette hauteur est coupée d'une Ordonnance & d’un Attique. L’attique est à l'Ordonnance comme 4 à 15. L’entablement est 1/5 de la même Ordonnance, & le socle qui luy sert de piédestal 1/15, c'est-à-dire que divisant toute la hauteur en p[arties] 19, il y a p[artie] 1 pour le socle, p[arties] 11 pour le piédroit entre le socle et l'architrave, p[arties] 3 pour l'entablement, et p[arties] 4 pour l'attique.

Toute la largeur divisée en p. 12, donne p. 2 pour chaque pile avec les ailettes des portes, & p. 3 pour l’ouverture de la baye de chacune des portes ; les ailettes ont de largeur 1/12 de celle de la baye : &c comme il y a deux largeurs d'ailettes à prendre sur le trumeau ou pile du milieu, & une largeur seulement sur chacune des piles angulaires, il s'ensuit que ces piles sont plus larges que le trumeau du milieu en la proportion de 7 à 6. La hauteur de la baye est de deux quarrez [carrés] ; celle de son bandeau est égale à la largeur de l'ailette aussi bien que celle de l'imposte. Toute la baye avec ses ailettes et son bandeau est enfermée en arrière-corps dans un cadre quarré long avec autant d'enfoncement que les moulures de l’imposte ont de saillie, c'est-à-dire autant que la largeur de l'ailette. Les piles sous l'imposte sont coupées au dessus du socle par des assises égales de bossage quarré. L'espace entre l'architrave & le haut des portes est occupé par un grand tableau de Sculpture de bas relief dans toute la longueur de l’ouvrage, laissant seulement tout alentour une bande de la largeur des ailettes ; d'où il arrive que la hauteur de ce tableau, qui est égale à celle de l’entablement, est à peu près 1/3 de sa longueur, c'est-à-dire qu’il est à peu près de 5 carrés. L’attique, outre sa base posée sur un socle, il fait ressaut sur ses deux bouts à la largeur de deux espèces de piédestaux dont les saillies des bases répondent au vif des piles angulaires» (F. Blondel Cours d’Architecture ; 4ème partie, Paris, 1675 ; p. 614-616)


L’examen attentif de ces mesures révèle une suite arithmétique  pythagoricienne[4], du type 3 – 4 – 5 (ou 12 – 16 – 20, soit 4 x 3 – 4 x 4 – 4 x 5)


Arithmologie : suite arithmétique 3-4-5 (ou 12-16-20)



Arithmologie (1)- restitution G. Barot / Géométrie Sensible 2019/24

Arithmologie (2)- restitution G. Barot / Géométrie Sensible 2019/24

Commentaires: Les chiffres indiquent le nombre de parties utilisées dans le tracé.

La largeur de la porte est de 8 toises, soit 8x6 = 48 pieds de roi.

Ne pas confondre les « parties » issues de la construction du tracé et les subdivisions du pied (en 12 pouces et 12 x 12 lignes)

Noter que le carré initial – de 48 pieds de roi, ou 8 toises - est composé de 12 parties (soit 3 + 4 + 5). Une « partie » de ce côté est donc équivalente à 4 pieds de roi.

 Repérer, en violet, les deux triangles rectangles de côtés 3 – 4 – 5.

 Noter que la longueur de ces triangles, de mesure 4, est divisée en 12 parties…

 La hauteur totale du monument n’est autre que le petit côté de ce triangle rectangle, augmenté de 3 parties pour l’entablement, et de 4 parties pour l’attique : d’où un total de 12 + 3 + 4 = 19 parties


Restitution du tracé régulateur ad quadratum


Tracé régulateur de la Porte Saint-Bernard (restitution G. Barot / Géométrie Sensible 2019/24)

Commentaire: L’essentiel de la structure interne de la porte est construite sur une trame ad quadratum, selon le carré (proportions basées sur 1/Racine2) . Toutefois, des lignes essentielles sont données par l’élévation de triangles équilatéraux (ici en violet, pour la base de la corniche ; proportions basées sur 1/ Racine3).

L’ensemble peut donc être inscrit dans un dodécagone étoilé (figure à 3x4= 12 côtés) !


Application de la Seconde Règle de Serlio pour la proportion des portes


Règle de Serlio ; tracé de F. Blondel (ibid.)

« Pour faire la Porte comme d'un Temple proportionnée à l'espace. Prenez, dit-il, la largeur du corps du milieu, c'est à dire celle qui est entre les deux murs si le Temple est petit, ou celle qui est entre les Pilastres s'il a des ailes ou des bas côtés ; Et faisant un quarré sur cette largeur, menez-y des diagonales, & d'autres lignes de ses angles inférieurs vers le milieu du côté de dessus du même quarré, comme en la règle précédente: Et ces lignes par leur rencontre donneront les proportions de la hauteur & de la largeur de la Porte & même de ses ornements; Où il est à remarquer que Serlio dans sa figure, donne à la largeur du chambranle la sixième partie de celle de la baie. » (F. Blondel op. cit. 4ème partie, livre IX, chap. 1, p. 538).

 

Les proportions sont en fait déduites de la structure interne du carré, dont l’étoilement est à peine ébauché par les deux demi-diagonales formant un triangle isocèle élevé sur la base du carré initial (en vert). Pour un carré de côté 1, ces demi-diagonales mesurent 1/Racine5 . Elles sont également les diagonales d’un « carré long » de côtés 1x2 (en rouge).

Figure 1 – analyse du tracé (G. Barot Géométrie Sensible©, tous droits réservés).
Figure 1 – analyse du tracé (G. Barot Géométrie Sensible©, tous droits réservés).


Cette seconde règle de S. Serlio pourrait s’énoncer ainsi : tracer une porte inscrite dans un carré de telle sorte que la baie soit formée d’un « carré long » de côtés 1x2. L’ensemble s’inscrit par ailleurs dans un dodécagone (fig. 3 ci-dessous) dont les diagonales intérieures donnent les proportions de tous les ornements…







Figure 2 – arithmologie (G. Barot Géométrie Sensible©, tous droits réservés).
Figure 2 – arithmologie (G. Barot Géométrie Sensible©, tous droits réservés).

Les principales proportions forment par ailleurs une suite harmonique du type 9 – 12 – 18 [1/12 = ½ (1/9 + 1/18) = 3/36]. Autrement dit, 8 – «moyen terme» surpasse 6 du tiers de 6 (soit 2), et est surpassé par 12 du tiers de 12 (soit 4). C’est aussi une suite musicale du type 6 – 8 – 9 – 12, représentant ainsi quatre intervalles : la quarte, le ton (9/8), la quinte et l’octave !


Chez Platon, dans le Timée, l’Harmonie est régie par les Nombres, l’Âme du monde étant par essence mathématique et se reflétant dans le microcosme humain selon des proportions arithmétique, géométrique et harmonique (ou musicale). Dans la suite 6-8-9-12, la moyenne harmonique de 12 et 6 est huit, et leur moyenne arithmétique est neuf. 8 et 9 divisent l’octave (6/12) en une quinte et une quarte (6x3/2 et 9x4/3 ou inversement 6x4/3 et 8x3/2).


Figure 3 – Seconde Règle de Serlio et dodécagone étoilé (G. Barot Géométrie Sensible©, tous droits réservés)
Figure 3 – Seconde Règle de Serlio et dodécagone étoilé (G. Barot Géométrie Sensible©, tous droits réservés)

L’étoilement donne les principales mesures et proportions de la figure… Elle conjugue à la fois un tracé ad quadratum et un tracé ad triangulum.


Figure 4 – Application de la Seconde Règle de Serlio au tracé de la porte Saint-Bernard de F. Blondel (G. Barot Géométrie Sensible©, tous droits réservés).
Figure 4 – Application de la Seconde Règle de Serlio au tracé de la porte Saint-Bernard de F. Blondel (G. Barot Géométrie Sensible©, tous droits réservés).


Les obliques en tiretés bleus sont autant de diagonales de « carrés longs » de côtés 1x2.

Les baies (en bleu clair) sont également des « carrés longs » (ou doubles carrés), conformément aux recommandations de S. Serlio.









Un tracé singulier… en quadrature


Figure 5 - tracé en quadrature (restitution inédite G. Barot / Géométrie Sensible 2019/24)
Figure 5 - tracé en quadrature (restitution inédite G. Barot / Géométrie Sensible 2019/24)

Autre caractéristique, singulière : le cercle (bleu), de diamètre 9 unités (sur grille modulaire de 9 mailles carrées), inscrit dans l’enveloppe du monument (carré vert) est en quadrature avec le carré initial (en rouge), de côté 8 unités (sur grille modulaire de huit mailles carrées).

Autrement dit, l’aire du cercle bleu est équivalente à la surface du carré rouge…

Avec une approximation traditionnelle de Pi par 22/7, l’aire du cercle est de (9/2)2 x22/7 = 63,64 unités carrées… pour une surface du carré de 64 unités carrées… L’approximation est 0,56%


Cette formule est connue depuis la plus haute antiquité, attestée par le papyrus Rhind (British Museum, EA 10057), daté du XVIème s. avant notre ère, mais qui est une copie de résultats plus anciens remontant au Moyen Empire (vers 2000 av. J.-C.)… sans doute s’origine sumérienne.

Un certain nombre d’œuvres médiévales s’inscrivent sur une double trame modulaire de 8 et 9 mailles carrées, rappelant qu’un cercle de diamètre 9 modules a une aire équivalente à celle d’un carré de 8 modules de côté



Grilles modulaires 


Figure 6 - grilles modulaires (restitution inédite G. Barot / Géométrie Sensible 2019/24)
Figure 6 - grilles modulaires (restitution inédite G. Barot / Géométrie Sensible 2019/24)

Trois grilles sont combinées :

  • une grille de neuf (9x9) qui inclut l’enveloppe du monument dans sa largeur (et la déborde d’une demi-maille de part et d’autre) ;

  • une grille de huit (8x8) qui inclut le monument dans sa largeur (et dans sa hauteur jusqu’à la base de l’attique).

  • l’ensemble est inscrit dans une grille de 9 x 10 mailles carrées.


Un module mesure ainsi une toise, soit 6 pieds de roi, la largeur mesurant 8 modules, ou 8 toises, soit 48 pieds de roi.





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Éléments bibliographiques

 

Architectes de la Renaissance et de l’Âge classique

 

  • F. Blondel Cours d’Architecture, P. Aubouyn & F. Clousier impr., Paris; 1675-1683.

  • C-E Briseux Traité du Beau essentiel dans les Arts, Chereau impr., Paris ; 1752

  • S. Frommel Sebastiano Serlio, architecte de la Renaissance, trad. de l'allemand par Y. Pauwels, éd. Gallimard, Paris, 2002 ; 436 p. et 427 ill.

  • Ph. De l’Orme Premier tome de l’Architecture, Paris, F. Morel impr. ; 1567-1568.

  • S. Serlio Le premier livre d’architecture, Jean Martin trad., J. Barbé impr., Paris, 1545.

  • R. Wittkower Les principes de l’architecture à la Renaissance, Les Éditions de la Passion, Paris, 1996 (traduction) ; 203 p.

 

Sur les tracés régulateurs

 

  • N. Hiscock The wise master builder. Platonic geometry in plans of medieval abbeys and cathedrals, Ashgate Publishing, 2000 (rééd. Routledge Revivals, 2018) ; 340 p. et 107 planches illustrées.

  • G. Jouven Rythme & Architecture, les tracés harmoniques, éd. Vincent, Fréal & Cie, Paris, 1951; 74 p.

  • La Forme initiale, symbolisme de l’architecture traditionnelle, Dervy-livres, Paris, 1990 ; 421 p.

  • L. Rosier Les Yantras, tracés dynamiques des maîtres-d’œuvre du Moyen-Age et autres tracés, Mosaïque éd., Roanne, 2013 ; 453 p.

  • N. Y. Wu Ad quadratum. The practical application of geometry in medieval architecture, Ashgate Publishing, 2002 ; 272 p.



[1] F. Blondel Cours d’architecture enseigné dans l’Académie royale d’architecture..., Paris, Pierre Aubouyn & François Clousier, 3 vol. ; 1675-1683.

[2] C-E Briseux Traité du Beau essentiel dans les arts appliqué particulièrement à l’architecture, Paris, Chereau éd., 1752. Monographie imprimée : 2 vol. (108, 86 p.-98 pl.). Ce traité est un véritable manifeste en faveur de l’Art des Anciens, qu’incarne F. Blondel, entre autres, contre les innovations apportées par les Modernes, tel Charles Perrault. Son Traité des proportions harmoniques semble perdu.

[3] Ordonnance ou disposition régulière ; régularité ou conformité à un tracé harmonique ; symétrie ou équilibre et justesse des proportions.

[4] Cette série numérique permet d’illustrer le théorème dit « de Pythagore » et les propriétés d’un triangle rectangle de côtés 3 – 4 – 5 :  32 + 42 = 52 (9 + 16 = 25)

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